Depuis l’abandon du projet d’hôtel 4 étoiles, l’ancienne usine de sucre Giraudon est revenue à son statut de friche industrielle les pieds dans l’eau. Or, un promoteur marseillais vient de déposer un dossier en mairie pour le transformer en résidence de luxe.
Du béton a été coulé à ses pieds, offrant une nouvelle promenade aux badauds en surplomb de la plage des Catalans. Adossée au Cercle des nageurs, le club de natation et de réseautage de la bourgeoisie marseillaise, l’ancienne usine de sucre de Giraudon se cherche un destin doré depuis sa fermeture en 2008. Collé à la mer, le terrain attire forcément les convoitises. Sur recommandation de la Commission des sites, en 2013, le plan local d’urbanisme (PLU) a fixé à 7,5 mètres la hauteur maximum autorisée sur cette parcelle, quel que soit le projet.Cette toise correspond à la taille actuelle de l’usine. Elle satisfaisait les riverains fort remontés contre un projet d’hôtel qui devait culminer à plusieurs dizaines de mètres. L’usine en friche était alors devenu un enjeu de la campagne municipale. À gauche, le maire de secteur de l’époque, Patrick Mennucci rêvait d’une piscine municipale avec un bassin olympique, sorte de cercle des nageurs de monsieur et madame tout le monde, quand Jean-Claude Gaudin et ses équipes imaginaient encore voir le propriétaire revenir avec un projet d’hôtel rabougri aux 7 mètres 50 de hauteur, le maximum autorisé.Le milliardaire et patron du groupe Privilège qui avait racheté le terrain à la famille Bagnis, héritière de l’usine, a fini par jeter l’éponge. Cet espoir ne sera jamais satisfait. Le propriétaire est décédé en 2016 et a laissé en héritage les 2170 mètres carrés de friche du 7e arrondissement. Depuis, rien ne bougeait si ce n’est la volonté martelée par les élus de faire quelque chose à cet endroit.
Une résidence de luxe en préparation
Aujourd’hui, selon nos informations, un projet avance pour soigner ce que l’adjointe à l’urbanisme Laure-Agnès Caradec qualifie de « verrue ». N’en déplaise à Patrick Mennucci, c’est bien un promoteur qui est à la manœuvre. L’entrepreneur en question, Hubert Attali, est bien connu de la Ville. Ce Marseillais, patron de Sud réalisation, s’est mis d’accord avec le propriétaire. Il a fait porter les premières esquisses d’un projet de résidence de luxe sur le bureau de Jean-Claude Gaudin, qui est aussi le président de la métropole garante du PLU.
Au crayon, selon nos sources, on retrouve l’architecte du Mucem Rudy Ricciotti. Le projet déborderait un peu de l’emprise actuelle de l’usine et comporterait des voutes avec des commerces dont on ne sait pour l’heure s’il s’agit des anciennes cabines de bain installées sous des voûtes très anciennes, aujourd’hui murées. Un restaurant viendrait combler le vide commercial laissé par la destruction du Calypso. Au dessus, la ville prévoit de privatiser l’esplanade où se trouvait jusqu’en janvier 2015 une discothèque et y installer de la restauration légère et des matelas.
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En mars dernier, les pelles mécaniques étaient venues faire respecter la loi littoral et avaient détruit une des bonnes tables de poissons de Marseille et la pizzeria voisine, plantées là en toute illégalité depuis des années. Le tout serait donc surmonté par des appartements de standing à la vue sur mer incroyable.
Les voûtes accueillaient jusqu’à peu des cabines de bain gérées par une association[/caption]
Mais tout ceci n’est pour l’heure qu’une idée couchée sur le papier. Les obstacles sont nombreux et de tous ordres. D’autres s’y sont déjà heurtés. Marc Piétri, le patron de Constructa est de ceux-là : « J’étais très très intéressé. Le site est magique, je rêvais d’en faire quelque chose en liaison avec la mer et le cercle des nageurs : un immense spa, une thalasso… J’ai eu des intermédiaires mais je ne suis jamais arrivé à avoir le propriétaire. Faute de trouver le propriétaire avec qui discuter, j’ai renoncé », explique-t-il. Il est aujourd’hui passé à autre chose, fort occupé à terminer la tour La Marseillaise.L’agence Tangram s’est longuement penché sur le sujet et ce dès 2010. Ses premières études urbaines pour permettre l’implantation d’un hôtel de luxe prenait en compte tout le quartier. Cette réflexion s’est poursuivie même après que la commission des sites a drastiquement limité la hauteur du bâtiment qui devrait prendre la place de l’usine. « Nous avons continué à réfléchir avec Hubert Attali, le patron de Sud Réa, explique Emmanuel Dujardin, fondateur de Tangram. En découvrant le bâtiment de l’intérieur, nous sommes tombés sur des éléments patrimoniaux datant de la création de l’usine au XIXe siècle. Notre projet prévoyait donc de construire les résidences autour des arcades remarquables de cette façade préservée. Ce n’était pas le choix du promoteur et nous avons mis fin à notre collaboration sur cette divergence de vues. »
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En effet, difficile d’envisager un tel projet avec vue sur mer sans accès direct à l’eau. Or, à bien regarder le cadastre, la parcelle Giraudon n’en contient pas. Les solutions ne sont pas nombreuses : soit permettre l’accès aux Catalans via la plateforme posée sur les voûtes, soit passer par le cercle des nageurs, via un accord avec ce dernier. Le tout devrait être soumis à l’avis de l’État.Ces tentatives déçues ont évidemment de quoi alerter Hubert Attali et Rudy Ricciotti. D’abord, dans ce dossier sensible, il faut passer entre les mains de l’architecte des bâtiments de France qui, du fait de la proximité de la tour du Lazaret, doit donner un avis sur tout projet. Il vaut donc mieux la consulter avant même le dépôt d’un permis de construire en mairie. C’est à ce stade que serait pour l’heure arrivé ce dossier. La discussion devrait consister en une série d’échanges entre le promoteur et l’ABF. Ce dernier possède de fait un droit de vie ou de mort sur le projet. En cette période de vacances, ni l’architecte des bâtiments de France ni Hubert Attali n’ont répondu à nos sollicitations.
S’ils passent ce stade, il faudra aussi pour le promoteur s’assurer de la faisabilité économique du projet. Si l’on ignore le montant autour duquel Attali et les actuels propriétaires s’entendent, il faut ici rappeler que le groupe Privilège avait acheté la parcelle pour 5 millions d’euros en 2008 soit 2300 euros le mètre carré. Avec un immeuble aussi bas, il faudra pour réaliser une culbute trouver des acheteurs prêts à mettre le prix pour acquérir un des rares projets de construction si près de l’eau.Enfin, et ce n’est pas la moindre des contraintes, il faudra aussi faire avec les spécificités du lieu. Passionné d’histoire et membre de l’Académie de Marseille, Jean-Noël Bévérini dit tenir d’un membre de la famille Bagnis l’existence d’un tunnel remarquable. Comme il l’avait raconté à la Provence, « la construction remonte au temps des infirmeries du Lazaret de Saint-Lambert (XVIe s.), ce tunnel serait alors le plus grand, le plus long et le dernier vestige intact de cet hôpital monumental ». Faudrait-il alors protéger cette partie du terrain ? Quelles contraintes pourraient être imposées au bâtisseur ? Vu l’âge de l’usine, construite en 1890 et le caractère historique du lieu, on voit mal comment le projet pourrait éviter une campagne de fouilles préventives. L’histoire n’est pas finie.